Denys veut dire qui fuit avec force. Il peut venir de dyo, deux, et nisus, élévation, élevé en deux choses, savoir quant au corps et quant à l’âme. Ou bien il vient de Dyana, Vénus, déesse de la beauté, et de syos, Dieu, beau devant Dieu. Selon d'autres il viendrait de Dyonisia, qui est, d'après Isidore, une pierre précieuse de couleur noire servant contre l’ivresse. En effet saint Denys s'est empressé de fuir le monde avec une parfaite abnégation ; il a été élevé à la contemplation des choses spirituelles, beau aux yeux de Dieu par l’éclat de ses vertus, fort contre l’ivresse du vice à l’égard des pécheurs. Avant sa conversion il eut plusieurs prénoms: On l’appela l’Aréopagite, du lieu de sa demeure; Théosophe, qui veut dire instruit dans les sciences divines. Jusqu'à ce jour les sages de la Grèce l’appellent pterugion tou ouranou, qui veut dire aile du ciel, pour avoir pris son vol vers le ciel sur l’aile de l’intelligence spirituelle. On l’appela encore Macarius,qui signifie heureux; Ionique du nom de sa patrie. L'Ionique, dit Papios, est un dialecte grec, ou bien encore c'est un genre de colonnes. Ionique, d'après le même auteur, est une mesure d'un pied qui contient deux brèves et deux longues.
On voit par là que saint Denys fut instruit dans la connaissance de Dieu en se livrant à l’investigation des choses cachées ; il fut l’aile du ciel en contemplant les choses célestes, et bienheureux par la possession des biens éternels. Par le reste, on voit qu'il fut un rhéteur merveilleux en éloquence, le soutien de l’Eglise par sa doctrine, bref par son humilité et long par sa charité envers les autres. Cependant saint Augustin dit au VIIIe Livre de la Cité de Dieu que l’Ionien est une école philosophique Il distingue deux écoles savoir l’Italique qui doit son nom à l’Italie et l’Ionienne qui le doit à la Grèce. Or, parce que saint Denys était un philosophe éminent, il est appelé Ionien par antonomase *. Sa vie et son martyre ont été écrits en grec par Méthode de Constantinople, et traduits en latin par Anastase, bibliothécaire du siège apostolique, d'après ce que dit Hincmar, évoque de Reims. (Ep. XXIII, à Charles, empereur.)
* Sur saint Denys, consulter l’abbé Darboy dans son introduction aux œuvres de ce saint; — Honorius d'Autun, Speculum ecclesiae, etc.
Denys l’aréopagite fut converti à la foi de J.-C. par l’apôtre saint Paul. On l’appelle aréopagite du quartier de la ville où il habitait. L'aréopage était le quartier de Mars, parce qu'il y avait un temple dédié à ce Dieu. Les Athéniens donnaient aux différentes parties de la ville le nom du dieu qui était honoré; ainsi celle-ci était appelée Aréopage parce que Ares est un des noms de Mars : ainsi le quartier où Pan était adoré se nommait Panopage, et ainsi des autres.. Or, l’Aréopage était le quartier le plus remarquable, puisque c'était celui de la noblesse et des écoles des arts libéraux. C'était donc là que demeurait Denys très grand philosophe, qui, à raison de sa science et de la connaissance parfaite qu'il avait des noms divins, était surnommé Théosophe, ami de Dieu. Il y avait avec lui Apollophane, philosophe qui partageait ses idées. Là se trouvaient aussi les Epicuriens qui faisaient consister le bonheur de l’homme dans les seules voluptés du corps, et les stoïciens qui le plaçaient dans les vertus de l’esprit. Or, le jour de la passion de Notre-Seigneur, au moment que les ténèbres couvrirent la terre entière, les philosophes d'Athènes ne purent trouver la raison de ce prodige dans les causes naturelles. En effet cette éclipse ne fut pas naturelle, parce que la lune n'était pas alors dans la région du soleil, tandis qu'il n'y a d'éclipse que quand il y a interposition de la lune et du soleil. Or, c'était le quinzième jour de la lune, et par conséquent elle était tout à fait éloignée du soleil; en outre l’éclipse ne prive pas de lumière toutes les contrées du monde, et elle ne peut durer trois heures. Or, cette éclipse priva de lumière toutes les parties de la terre, ce qui est positif par ce que dit saint Luc, et parce que c'était le Seigneur de l’univers qui souffrait, enfin parce qu'elle fut visible à Héliopolis en Egypte, à Rome, en Grèce et dans l’Asie-Mineure. Elle eut lieu à Rome ; Orose l’atteste quand il dit * : « Lorsque le Seigneur fat attaché au gibet, il se fit dans l’univers un très grand tremblement de terre ; les rochers se fendirent, et plusieurs des quartiers des plus grandes villes s'écroulèrent par cette commotion extraordinaire. Le même jour, depuis la sixième heure, le soleil fut entièrement obscurci, une nuit noire couvrit subitement la terre, en sorte que l’on put voir les étoiles dans tout le ciel en plein jour ou plutôt pendant cette affreuse nuit. »
* Figure de rhétorique, qui substitue un nom commun à un nom propre.
Elle eut lieu en Egypte, et saint Denys en fait mention dans une lettre à Apollophane : « Les astres furent obscurcis par les ténèbres qui répandirent un brouillard épais; ensuite le disque solaire dégagé repartit. Nous avons pris la règle de Philippe d'Arridée, et après avoir trouvé, comme du reste c'était chose fort connue, que le soleil ne devait pas être éclipsé, je vous dis : et Sanctuaire de science profonde, voici encore un mystère que vous ne connaissez pas. O vous qui êtes le miroir de science, Apollophane, qu'attribuez-vous à ces secrets?» A quoi vous m’avez répondu plutôt comme un dieu que comme un homme : « Mon bon Denys, la perturbation est dans les choses divines.» Et quand saint Paul, aux lèvres duquel nous étions suspendus, nous fit connaître le jour et l’année du fait que nous avions noté, ces signes, qui étaient manifestes, nous en firent ressouvenir ; alors j'ai rendu les armes à la vérité, et je me suis débarrassé des liens de l’erreur. » Il fait encore mention de cet événement dans l’épître à Polycarpe où il dit ce qui suit en parlant de soi et d'Apollophane * : « Tous deux nous étions à Héliopolis, quand à mon grand étonnement, nous vîmes la lune se placer en avant du soleil (ce n'était point l’époque de la conjonction). Nous l’avons vue de nouveau à la neuvième heure, elle s'éloigna du soleil et vint surnaturellement se remettre de manière qu'elle se trouvât diamétralement opposée à cet astre. Vous avons vu l’éclipse commencer à l’orient, atteindre jusqu'au bord
occidental du disque du soleil, pour revenir ensuite; nous avons vu la
décroissance et la réapparition de la lumière, non dans la mème partie
du soleil, mais dans un sens diamétralement opposé. »
* Voyez saint Thomas, IIIe part., quest. XLIV, art. 2, où ce passage de saint Denys est expliqué avec beaucoup de soin.
C'était l’époque où saint Denys avec Apollophane était allé à Héliopolis en Egypte, dans le but d'étudier l’astrologie. Il en revint dans la suite. Cette éclipse eut lieu aussi en Asie, comme l’atteste Eusèbe dans sa chronique, où il assure avoir lu dans les écrits des païens, qu'à cette époque, il se fit en Bithynie, province de l’Asie-Mineure, un grand tremblement de terre, et la plus grande éclipse de soleil qu'il y ait jamais eu, et qu'à la sixième heure, le jour s'obscurcit au point qu'on vit les étoiles du ciel ; et qu'à Nicée; ville de la Bithynie, le tremblement de terre renversa tous les édifices.
Enfin, d'après ce qu'on lit dans l’Histoire scholastique, les philosophes furent amenés à dire que le Dieu de la Nature souffrait. On lit encore ailleurs qu'ils s'écrièrent : « Ou bien l’ordre de la nature est bouleversé, ou les éléments nous trompent, ou le Dieu de la nature souffre, et les éléments compatissent à sa douleur. » On lit aussi en un autre endroit que Denys s'écria : « Cette nuit, que nous admirons comme une nouveauté, nous indique la venue de la lumière véritable qui éclairera le monde entier. »
Ce fut alors que les Athéniens érigèrent à ce Dieu un autel où fut placée cette inscription. «Au Dieu inconnu », car à chacun des autels, on mettait une inscription indiquant à qui il était dédié. Quand on voulut lui offrir des holocaustes et des victimes, les philosophes dirent : « Il n'a pas besoin de nos biens, mais vous fléchirez le genou devant son autel, et vous lui adresserez vos supplications, il ne réclame pas qu'on lui offre des animaux, mais la dévotion de l’âme. » Or, quand saint Paul fut venu à Athènes, les philosophes épicuriens et les stoïciens discutaient avec lui. Quelques-uns disaient : « Que veut dire ce discoureur ? » Les autres : « Il semble qu'il prêche de nouveaux dieux. » Alors ils le menèrent au quartier des philosophes afin d'y examiner cette nouvelle doctrine, et on lui dit : « Vous nous dites certaines choses dont nous n'avons pas encore entendu parler; nous voudrions donc bien savoir quelles elles sont. » Or, les Athéniens passaient tout leur temps à dire et à entendre dire quelque chose de nouveau. Mais quand saint Paul eut vu, en passant, les autels des dieux, et entre autres celui du Dieu. inconnu, il dit à ces philosophes : « Ce Dieu que vous adorez sans le connaître, je viens vous l’annoncer comme le vrai Dieu qui a créé le ciel et la terre. » Ensuite il dit à saint Denys qu'il voyait être le plus instruit dans les choses divines : « Denys, quel est ce Dieu inconnu? » « C'est lui, répondit Denys, le vrai Dieu, dont l’existence n'a pas encore été démontrée comme celle des autres divinités; il nous est inconnu et caché; c'est celui qui doit venir dans le siècle futur et qui doit régner éternellement. » Paul lui dit : « Est-il homme ou seulement esprit? » « Il est Dieu et homme, répondit Denys, mais il n'est inconnu que parce qu'il vit dans les cieux. » Saint Paul reprit : « C'est lui que je prêche ; il est descendu des cieux, a pris une chair, a souffert la mort et est ressuscité le troisième jour. » Denys discutait encore avec Paul quand vint à passer devant eux un aveugle ; aussitôt l’Aréopagite dit à Paul : « Si tu dis à cet aveugle au nom de ton Dieu : « Vois », et qu'il voie, aussitôt je croirai; mais ne te sers pas de paroles magiques ; car tu pourrais bien en savoir qui eussent cette puissance. Je vais te prescrire moi-même les paroles dont tu te serviras. Tu lui diras donc en cette teneur : « Au nom de J.-C. né d'une vierge, crucifié, mort, qui est ressuscité et est monté au ciel, vois. » Alors pour écarter tout soupçon, saint Paul dit à Denys de proférer lui-même ces paroles. Et quand Denys eut dit en cette formule à l’aveugle de voir, aussitôt cet homme recouvra la vue.
De suite Denys avec sa femme Damarie et toute sa famille reçut le baptême et la foi. Il fut pendant trois ans instruit par saint Paul et ordonné évêque d'Athènes, où il se livra à la prédication et convertit à la foi en J.-C. la ville et une grande partie du pays.
On dit que saint Paul lui révéla ce qu'il avait vu quand il fut ravi au troisième ciel; saint Denys lui-même semble l’insinuer dans plusieurs endroits : Aussi en traitant des hiérarchies des Anges, de leurs chœurs, de leur emploi et de leur ministère, il s'exprime avec tant de sagesse et de clarté que vous croiriez qu'il n'a pas appris ces choses d'un autre, mais plutôt qu'il a été ravi lui-même jusqu'au troisième ciel et qu'il y a vu tout ce qu'il en écrit. Il fut honoré du don de prophétie, comme on peut s'en assurer par l’épître qu'il adressa à saint Jean l’évangéliste relégué en exil dans l’île de Pathmos : il prédit à l’apôtre qu'il en sortira, quand il s'exprime ainsi : « Réjouissez-vous, le plus fidèle et le plus tendre des amis, vous serez relâché de la prison de Pathmos, et vous reviendrez en Asie ; vous y imiterez le Dieu bon, et vous ferez part de vos mérites à ceux qui viendront après vous. »
Il assista à la dormition* de la sainte Vierge Marie; ce qu'il paraît insinuer dans son livre des Noms divins (chap. III). Quand il apprit que saint Pierre et saint Paul étaient emprisonnés à Rome par l’ordre de Néron,, il mit un évêque à sa place et vint les visiter. Après leur martyre consommé, saint Clément, qui fut le chef de l’Église, le fit partir quelque temps après pour la France, en lui associant Rustique et Eleuthère. Il fut envoyé à Paris où il convertit beaucoup de personnes à la foi, y éleva plusieurs églises et y plaça des clercs de différents ordres.
Telle était la grâce céleste qui brillait en lui que souvent les prêtres des idoles soulevèrent contre lui le peuple qui, plus d'une fois, accourait en armes pour le perdre ; mais, dès qu'il l’avait vu, il perdait sa férocité, et se jetait à ses pieds, ou bien encore la frayeur s'emparait de lui et il prenait la fuite dès que le saint paraissait. Cependant le diable jaloux, voyant que tous les jours son champ se rétrécissait et que l’Église triomphait par de nombreuses conversions, excita Domitien à une cruauté telle que cet empereur porta un ordre de forcer à sacrifier ou de faire mourir dans les supplices chaque chrétien qu'on trouverait.
* C'est le mot dont on s'est servi longtemps. pour exprimer la mort de la Sainte Vierge. Voyez la légende de l’Assomption.
Le préfet Fescennius envoyé de Rome à Paris contre les chrétiens, trouva saint Denys qui prêchait au peuple; aussitôt il le fit saisir, souffleter, conspuer, moquer et lier avec des courroies très rudes et comparaître par devant lui avec saint Rustique et saint Eleuthère. Or, comme les saints persistaient à confesser Dieu devant le préfet, voici qu'arriva une dame noble prétendant que son mari Lisbius avait été honteusement trompé par ces magiciens. On envoie chercher cet homme au plus vite et il est mis à mort en confessant Dieu avec persévérance ; quant aux saints ils sont flagellés par douze soldats : après quoi on les charge de lourdes chaînes et on les jette en prison.
Le lendemain saint Denys est étendu nu, sur un gril de fer, sous lequel brûlait un feu violent, et là il chantait ainsi les louanges du Seigneur : « Votre parole est éprouvée très parfaitement par le feu, et votre serviteur l’aime uniquement. (Ps. CXVIII.) » On le retire pour le jeter en pâture à des bêtes d'autant plus féroces qu'on les avait laissées plusieurs jours sans manger. Mais quand elles coururent pour se précipiter sur lui, il leur opposa le signe de la croix et les rendit très douces. On le jeta ensuite dans une fournaise; mais, au lieu de lui nuire, le feu s'éteignit. On l’en fit sortir et on le renferma en prison avec ses compagnons ainsi qu'un grand nombre de fidèles. Comme il y célébrait la messe, au moment de la communion du peuple, Notre-Seigneur J.-C. lui apparut environné d'une immense lumière ; puis il prit le pain et lui dit : « Prenez ceci, mon cher, parce que votre plus grande récompense est d'être avec moi. »
Après quoi ils furent amenés au juge qui les livra à de nouveaux supplices; on trancha à coups de hache, devant l’idole de Mercure, la tête des trois confesseurs de la Trinité. Aussitôt le corps de saint Denys se leva, et sous la conduite d'un ange, et précédé par une lumière céleste, il porta sa tête entre les bras, l’espace de deux milles, depuis l’endroit qu'on appelle le Mont des Martyrs jusqu'à celui que, par là providence de Dieu, il choisit pour reposer. Or, les Anges firent entendre là des accords si mélodieux, que, parmi le grand nombre de ceux qui entendirent et crurent en J.-C., Laërtia, femme de Lisbius, dont il a été parlé plus haut, cria qu'elle était chrétienne. Elle fut décapitée à l’instant et mourut baptisée dans son sang.
Son fils Vibius, resta au service militaire à Rome sous trois empereurs; ensuite il revint à Paris où il reçut le baptême et fut admis au nombre des religieux. Comme les infidèles craignaient que les chrétiens n'ensevelissent les corps de saint Rustique et de saint Eleuthère, ils les firent jeter dans la Seine. Mais une dame noble invita les porteurs à un repas, et, pendant qu'ils mangeaient, elle déroba furtivement les corps des saints, et les fit ensevelir en secret dans un champ qui lui appartenait. Plus tard, quand la persécution eut cessé, elle les en retira, et les réunit avec honneur au corps de saint Denys. Ils souffrirent sous Domitien, l’an du Seigneur 96. Saint Denys était âgé de 90 ans.
— Vers l’an du Seigneur 815, du temps du roi Louis, des ambassadeurs de Michel, empereur de Constantinople apportèrent, entre autres présents, à Louis, fils de Charlemagne, les livres de saint Denys, sur la hiérarchie, traduits du grec en latin : ils furent reçus avec joie et dix-neuf malades furent guéris cette nuit-là même dans l’église du saint*.
— Comme saint Rieul célébrait la messe à Arles, il ajouta après les noms des apôtres ces mots : « Les martyrs saints Denys, Rustique et Eleuthère. » Il fut bien étonné, d'avoir, sans y penser, prononcé leurs noms dans le Canon, car il croyait que les serviteurs de Dieu vivaient encore: mais pendant qu'il en était dans l’admiration, il vit trois colombes posées sur la croix de l’autel, et portant sur leur poitrine les noms des saints martyrs écrits en lettres de sang. Quand il les eut regardées avec attention, il comprit que les saints avaient quitté leur corps **.
— Vers l’an du Seigneur 614, Dagobert, roi des Francs (d'après une chronique ***) qui régna longtemps après Pépin, eut dès l’enfance une grande vénération pour saint Denys; et chaque fois qu'il avait à redouter la colère de Clotaire, son père, il s'enfuyait à l’église du saint. Il monta sur le trône et après sa mort, un saint homme eut une vision dans laquelle il lui fut montré que l’âme de Dagobert ayant été conduite au jugement, beaucoup de saints lui reprochèrent d'avoir dépouillé leurs églises. Déjà les mauvais anges voulaient la traîner en enfer, quand se présenta saint Denys qui intervint en sa faveur, la délivra et lui épargna le châtiment. Peut-être se fit-il que son âme revint animer son corps, et qu'il fit pénitence*.
* Hilduin; Vie de saint Denys, c. IV.
** Un médaillon. d'une ancienne verrière de l’église de Saint-Denys reproduit ce miracle.
*** Hélinand, même année.
— Le roi Clovis découvrit, avec trop peu de respect, le corps de saint Denys, lui cassa l’os du bras et s'en empara; mais bientôt après il fut pris de folie.
— Hincmar, évêque de Reims, dit dans une lettre adressée à Charles, que ce Denys qui fut envoyé en France fut Denys l’Aréopagite, comme il a été rapporté ci-dessus. Jean Scot assure la même chose dans une épître à Charles il se pourrait bien que le calcul que l’on ferait des années ne le contredise en ce point, comme quelques-uns ont voulu en faire un sujet d'objection.
* Voici sur ce fait étrange une note de Ciaconius sur la vie du pape Donus, par Anastase le Bibliothécaire : « Sous le pontificat du pape Donus, mourut Dagobert, 18e roi des Francs. On vit l’âme de ce prince conduite par des démons dans l’île de Liparca, qui renferme un volcan. Comme son âme était condamnée à y subir des expiations, elle fut arrachée des mains des esprits malins, par l’entremise de saint Denys, de saint Martin et de saint Maurice, que Dagobert pendant sa vie avait regardés comme ses patrons, et en l’honneur desquels il avait construit des églises. On a pour garants de cette croyance les témoignages de Platina, Vie du pape Donus; de Robert Gaguin, au livre III de la Vie de Dagobert, et de l’abbé Boniface Simoneta. »
On voit par là que saint Denys fut instruit dans la connaissance de Dieu en se livrant à l’investigation des choses cachées ; il fut l’aile du ciel en contemplant les choses célestes, et bienheureux par la possession des biens éternels. Par le reste, on voit qu'il fut un rhéteur merveilleux en éloquence, le soutien de l’Eglise par sa doctrine, bref par son humilité et long par sa charité envers les autres. Cependant saint Augustin dit au VIIIe Livre de la Cité de Dieu que l’Ionien est une école philosophique Il distingue deux écoles savoir l’Italique qui doit son nom à l’Italie et l’Ionienne qui le doit à la Grèce. Or, parce que saint Denys était un philosophe éminent, il est appelé Ionien par antonomase *. Sa vie et son martyre ont été écrits en grec par Méthode de Constantinople, et traduits en latin par Anastase, bibliothécaire du siège apostolique, d'après ce que dit Hincmar, évoque de Reims. (Ep. XXIII, à Charles, empereur.)
* Sur saint Denys, consulter l’abbé Darboy dans son introduction aux œuvres de ce saint; — Honorius d'Autun, Speculum ecclesiae, etc.
Denys l’aréopagite fut converti à la foi de J.-C. par l’apôtre saint Paul. On l’appelle aréopagite du quartier de la ville où il habitait. L'aréopage était le quartier de Mars, parce qu'il y avait un temple dédié à ce Dieu. Les Athéniens donnaient aux différentes parties de la ville le nom du dieu qui était honoré; ainsi celle-ci était appelée Aréopage parce que Ares est un des noms de Mars : ainsi le quartier où Pan était adoré se nommait Panopage, et ainsi des autres.. Or, l’Aréopage était le quartier le plus remarquable, puisque c'était celui de la noblesse et des écoles des arts libéraux. C'était donc là que demeurait Denys très grand philosophe, qui, à raison de sa science et de la connaissance parfaite qu'il avait des noms divins, était surnommé Théosophe, ami de Dieu. Il y avait avec lui Apollophane, philosophe qui partageait ses idées. Là se trouvaient aussi les Epicuriens qui faisaient consister le bonheur de l’homme dans les seules voluptés du corps, et les stoïciens qui le plaçaient dans les vertus de l’esprit. Or, le jour de la passion de Notre-Seigneur, au moment que les ténèbres couvrirent la terre entière, les philosophes d'Athènes ne purent trouver la raison de ce prodige dans les causes naturelles. En effet cette éclipse ne fut pas naturelle, parce que la lune n'était pas alors dans la région du soleil, tandis qu'il n'y a d'éclipse que quand il y a interposition de la lune et du soleil. Or, c'était le quinzième jour de la lune, et par conséquent elle était tout à fait éloignée du soleil; en outre l’éclipse ne prive pas de lumière toutes les contrées du monde, et elle ne peut durer trois heures. Or, cette éclipse priva de lumière toutes les parties de la terre, ce qui est positif par ce que dit saint Luc, et parce que c'était le Seigneur de l’univers qui souffrait, enfin parce qu'elle fut visible à Héliopolis en Egypte, à Rome, en Grèce et dans l’Asie-Mineure. Elle eut lieu à Rome ; Orose l’atteste quand il dit * : « Lorsque le Seigneur fat attaché au gibet, il se fit dans l’univers un très grand tremblement de terre ; les rochers se fendirent, et plusieurs des quartiers des plus grandes villes s'écroulèrent par cette commotion extraordinaire. Le même jour, depuis la sixième heure, le soleil fut entièrement obscurci, une nuit noire couvrit subitement la terre, en sorte que l’on put voir les étoiles dans tout le ciel en plein jour ou plutôt pendant cette affreuse nuit. »
* Figure de rhétorique, qui substitue un nom commun à un nom propre.
Raphaël Sanzio (1483–1520), saint Paul prêchant aux Athéniens.1515 Royal Collection of the United Kingdom Domaine public
* Voyez saint Thomas, IIIe part., quest. XLIV, art. 2, où ce passage de saint Denys est expliqué avec beaucoup de soin.
C'était l’époque où saint Denys avec Apollophane était allé à Héliopolis en Egypte, dans le but d'étudier l’astrologie. Il en revint dans la suite. Cette éclipse eut lieu aussi en Asie, comme l’atteste Eusèbe dans sa chronique, où il assure avoir lu dans les écrits des païens, qu'à cette époque, il se fit en Bithynie, province de l’Asie-Mineure, un grand tremblement de terre, et la plus grande éclipse de soleil qu'il y ait jamais eu, et qu'à la sixième heure, le jour s'obscurcit au point qu'on vit les étoiles du ciel ; et qu'à Nicée; ville de la Bithynie, le tremblement de terre renversa tous les édifices.
Enfin, d'après ce qu'on lit dans l’Histoire scholastique, les philosophes furent amenés à dire que le Dieu de la Nature souffrait. On lit encore ailleurs qu'ils s'écrièrent : « Ou bien l’ordre de la nature est bouleversé, ou les éléments nous trompent, ou le Dieu de la nature souffre, et les éléments compatissent à sa douleur. » On lit aussi en un autre endroit que Denys s'écria : « Cette nuit, que nous admirons comme une nouveauté, nous indique la venue de la lumière véritable qui éclairera le monde entier. »
Ce fut alors que les Athéniens érigèrent à ce Dieu un autel où fut placée cette inscription. «Au Dieu inconnu », car à chacun des autels, on mettait une inscription indiquant à qui il était dédié. Quand on voulut lui offrir des holocaustes et des victimes, les philosophes dirent : « Il n'a pas besoin de nos biens, mais vous fléchirez le genou devant son autel, et vous lui adresserez vos supplications, il ne réclame pas qu'on lui offre des animaux, mais la dévotion de l’âme. » Or, quand saint Paul fut venu à Athènes, les philosophes épicuriens et les stoïciens discutaient avec lui. Quelques-uns disaient : « Que veut dire ce discoureur ? » Les autres : « Il semble qu'il prêche de nouveaux dieux. » Alors ils le menèrent au quartier des philosophes afin d'y examiner cette nouvelle doctrine, et on lui dit : « Vous nous dites certaines choses dont nous n'avons pas encore entendu parler; nous voudrions donc bien savoir quelles elles sont. » Or, les Athéniens passaient tout leur temps à dire et à entendre dire quelque chose de nouveau. Mais quand saint Paul eut vu, en passant, les autels des dieux, et entre autres celui du Dieu. inconnu, il dit à ces philosophes : « Ce Dieu que vous adorez sans le connaître, je viens vous l’annoncer comme le vrai Dieu qui a créé le ciel et la terre. » Ensuite il dit à saint Denys qu'il voyait être le plus instruit dans les choses divines : « Denys, quel est ce Dieu inconnu? » « C'est lui, répondit Denys, le vrai Dieu, dont l’existence n'a pas encore été démontrée comme celle des autres divinités; il nous est inconnu et caché; c'est celui qui doit venir dans le siècle futur et qui doit régner éternellement. » Paul lui dit : « Est-il homme ou seulement esprit? » « Il est Dieu et homme, répondit Denys, mais il n'est inconnu que parce qu'il vit dans les cieux. » Saint Paul reprit : « C'est lui que je prêche ; il est descendu des cieux, a pris une chair, a souffert la mort et est ressuscité le troisième jour. » Denys discutait encore avec Paul quand vint à passer devant eux un aveugle ; aussitôt l’Aréopagite dit à Paul : « Si tu dis à cet aveugle au nom de ton Dieu : « Vois », et qu'il voie, aussitôt je croirai; mais ne te sers pas de paroles magiques ; car tu pourrais bien en savoir qui eussent cette puissance. Je vais te prescrire moi-même les paroles dont tu te serviras. Tu lui diras donc en cette teneur : « Au nom de J.-C. né d'une vierge, crucifié, mort, qui est ressuscité et est monté au ciel, vois. » Alors pour écarter tout soupçon, saint Paul dit à Denys de proférer lui-même ces paroles. Et quand Denys eut dit en cette formule à l’aveugle de voir, aussitôt cet homme recouvra la vue.
De suite Denys avec sa femme Damarie et toute sa famille reçut le baptême et la foi. Il fut pendant trois ans instruit par saint Paul et ordonné évêque d'Athènes, où il se livra à la prédication et convertit à la foi en J.-C. la ville et une grande partie du pays.
On dit que saint Paul lui révéla ce qu'il avait vu quand il fut ravi au troisième ciel; saint Denys lui-même semble l’insinuer dans plusieurs endroits : Aussi en traitant des hiérarchies des Anges, de leurs chœurs, de leur emploi et de leur ministère, il s'exprime avec tant de sagesse et de clarté que vous croiriez qu'il n'a pas appris ces choses d'un autre, mais plutôt qu'il a été ravi lui-même jusqu'au troisième ciel et qu'il y a vu tout ce qu'il en écrit. Il fut honoré du don de prophétie, comme on peut s'en assurer par l’épître qu'il adressa à saint Jean l’évangéliste relégué en exil dans l’île de Pathmos : il prédit à l’apôtre qu'il en sortira, quand il s'exprime ainsi : « Réjouissez-vous, le plus fidèle et le plus tendre des amis, vous serez relâché de la prison de Pathmos, et vous reviendrez en Asie ; vous y imiterez le Dieu bon, et vous ferez part de vos mérites à ceux qui viendront après vous. »
Il assista à la dormition* de la sainte Vierge Marie; ce qu'il paraît insinuer dans son livre des Noms divins (chap. III). Quand il apprit que saint Pierre et saint Paul étaient emprisonnés à Rome par l’ordre de Néron,, il mit un évêque à sa place et vint les visiter. Après leur martyre consommé, saint Clément, qui fut le chef de l’Église, le fit partir quelque temps après pour la France, en lui associant Rustique et Eleuthère. Il fut envoyé à Paris où il convertit beaucoup de personnes à la foi, y éleva plusieurs églises et y plaça des clercs de différents ordres.
Telle était la grâce céleste qui brillait en lui que souvent les prêtres des idoles soulevèrent contre lui le peuple qui, plus d'une fois, accourait en armes pour le perdre ; mais, dès qu'il l’avait vu, il perdait sa férocité, et se jetait à ses pieds, ou bien encore la frayeur s'emparait de lui et il prenait la fuite dès que le saint paraissait. Cependant le diable jaloux, voyant que tous les jours son champ se rétrécissait et que l’Église triomphait par de nombreuses conversions, excita Domitien à une cruauté telle que cet empereur porta un ordre de forcer à sacrifier ou de faire mourir dans les supplices chaque chrétien qu'on trouverait.
* C'est le mot dont on s'est servi longtemps. pour exprimer la mort de la Sainte Vierge. Voyez la légende de l’Assomption.
Le préfet Fescennius envoyé de Rome à Paris contre les chrétiens, trouva saint Denys qui prêchait au peuple; aussitôt il le fit saisir, souffleter, conspuer, moquer et lier avec des courroies très rudes et comparaître par devant lui avec saint Rustique et saint Eleuthère. Or, comme les saints persistaient à confesser Dieu devant le préfet, voici qu'arriva une dame noble prétendant que son mari Lisbius avait été honteusement trompé par ces magiciens. On envoie chercher cet homme au plus vite et il est mis à mort en confessant Dieu avec persévérance ; quant aux saints ils sont flagellés par douze soldats : après quoi on les charge de lourdes chaînes et on les jette en prison.
Le lendemain saint Denys est étendu nu, sur un gril de fer, sous lequel brûlait un feu violent, et là il chantait ainsi les louanges du Seigneur : « Votre parole est éprouvée très parfaitement par le feu, et votre serviteur l’aime uniquement. (Ps. CXVIII.) » On le retire pour le jeter en pâture à des bêtes d'autant plus féroces qu'on les avait laissées plusieurs jours sans manger. Mais quand elles coururent pour se précipiter sur lui, il leur opposa le signe de la croix et les rendit très douces. On le jeta ensuite dans une fournaise; mais, au lieu de lui nuire, le feu s'éteignit. On l’en fit sortir et on le renferma en prison avec ses compagnons ainsi qu'un grand nombre de fidèles. Comme il y célébrait la messe, au moment de la communion du peuple, Notre-Seigneur J.-C. lui apparut environné d'une immense lumière ; puis il prit le pain et lui dit : « Prenez ceci, mon cher, parce que votre plus grande récompense est d'être avec moi. »
Après quoi ils furent amenés au juge qui les livra à de nouveaux supplices; on trancha à coups de hache, devant l’idole de Mercure, la tête des trois confesseurs de la Trinité. Aussitôt le corps de saint Denys se leva, et sous la conduite d'un ange, et précédé par une lumière céleste, il porta sa tête entre les bras, l’espace de deux milles, depuis l’endroit qu'on appelle le Mont des Martyrs jusqu'à celui que, par là providence de Dieu, il choisit pour reposer. Or, les Anges firent entendre là des accords si mélodieux, que, parmi le grand nombre de ceux qui entendirent et crurent en J.-C., Laërtia, femme de Lisbius, dont il a été parlé plus haut, cria qu'elle était chrétienne. Elle fut décapitée à l’instant et mourut baptisée dans son sang.
Son fils Vibius, resta au service militaire à Rome sous trois empereurs; ensuite il revint à Paris où il reçut le baptême et fut admis au nombre des religieux. Comme les infidèles craignaient que les chrétiens n'ensevelissent les corps de saint Rustique et de saint Eleuthère, ils les firent jeter dans la Seine. Mais une dame noble invita les porteurs à un repas, et, pendant qu'ils mangeaient, elle déroba furtivement les corps des saints, et les fit ensevelir en secret dans un champ qui lui appartenait. Plus tard, quand la persécution eut cessé, elle les en retira, et les réunit avec honneur au corps de saint Denys. Ils souffrirent sous Domitien, l’an du Seigneur 96. Saint Denys était âgé de 90 ans.
— Vers l’an du Seigneur 815, du temps du roi Louis, des ambassadeurs de Michel, empereur de Constantinople apportèrent, entre autres présents, à Louis, fils de Charlemagne, les livres de saint Denys, sur la hiérarchie, traduits du grec en latin : ils furent reçus avec joie et dix-neuf malades furent guéris cette nuit-là même dans l’église du saint*.
— Comme saint Rieul célébrait la messe à Arles, il ajouta après les noms des apôtres ces mots : « Les martyrs saints Denys, Rustique et Eleuthère. » Il fut bien étonné, d'avoir, sans y penser, prononcé leurs noms dans le Canon, car il croyait que les serviteurs de Dieu vivaient encore: mais pendant qu'il en était dans l’admiration, il vit trois colombes posées sur la croix de l’autel, et portant sur leur poitrine les noms des saints martyrs écrits en lettres de sang. Quand il les eut regardées avec attention, il comprit que les saints avaient quitté leur corps **.
— Vers l’an du Seigneur 614, Dagobert, roi des Francs (d'après une chronique ***) qui régna longtemps après Pépin, eut dès l’enfance une grande vénération pour saint Denys; et chaque fois qu'il avait à redouter la colère de Clotaire, son père, il s'enfuyait à l’église du saint. Il monta sur le trône et après sa mort, un saint homme eut une vision dans laquelle il lui fut montré que l’âme de Dagobert ayant été conduite au jugement, beaucoup de saints lui reprochèrent d'avoir dépouillé leurs églises. Déjà les mauvais anges voulaient la traîner en enfer, quand se présenta saint Denys qui intervint en sa faveur, la délivra et lui épargna le châtiment. Peut-être se fit-il que son âme revint animer son corps, et qu'il fit pénitence*.
* Hilduin; Vie de saint Denys, c. IV.
** Un médaillon. d'une ancienne verrière de l’église de Saint-Denys reproduit ce miracle.
*** Hélinand, même année.
— Le roi Clovis découvrit, avec trop peu de respect, le corps de saint Denys, lui cassa l’os du bras et s'en empara; mais bientôt après il fut pris de folie.
— Hincmar, évêque de Reims, dit dans une lettre adressée à Charles, que ce Denys qui fut envoyé en France fut Denys l’Aréopagite, comme il a été rapporté ci-dessus. Jean Scot assure la même chose dans une épître à Charles il se pourrait bien que le calcul que l’on ferait des années ne le contredise en ce point, comme quelques-uns ont voulu en faire un sujet d'objection.
* Voici sur ce fait étrange une note de Ciaconius sur la vie du pape Donus, par Anastase le Bibliothécaire : « Sous le pontificat du pape Donus, mourut Dagobert, 18e roi des Francs. On vit l’âme de ce prince conduite par des démons dans l’île de Liparca, qui renferme un volcan. Comme son âme était condamnée à y subir des expiations, elle fut arrachée des mains des esprits malins, par l’entremise de saint Denys, de saint Martin et de saint Maurice, que Dagobert pendant sa vie avait regardés comme ses patrons, et en l’honneur desquels il avait construit des églises. On a pour garants de cette croyance les témoignages de Platina, Vie du pape Donus; de Robert Gaguin, au livre III de la Vie de Dagobert, et de l’abbé Boniface Simoneta. »
La Légende Dorée
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