HISTOIRE DE L'EMPEREUR MAURICE Ecrite par Theophylacte Simocatte.
Extraits
(...)2. Romains, qui êtes le Peuple le plus célèbre, le plus illustre de la Terre, & qui avez acquis, par la grandeur de vos exploits, une réputation immortelle, je me trouve maintenant environné par les dernières, & par les plus cuisantes de toutes les inquiétudes, dont les unes me pressent de mettre ordre aux affaires de ce monde, & les autres me troublent par la pensée du compte terrible que j'ai à rendre. Comme ceux qui jouissent d'un pouvoir absolu commettent d'ordinaire, de grandes fautes, la licence où j'ai vécu autrefois, devient aujourd'hui le sujet de ma crainte. Le soin qui regarde ma couronne est, sans doute, celui qui m'est le plus sensible. Ce n'est pas que je sois fâché de la déposer si tôt, mais c'est que ne l'ayant pas reçue pour m'être un sujet de vanité, ou une occasion de débauche, je Juif en peine de la mettre sur une tête qui mérite de la porter. A ces pensées de fortune, succèdent les sentiments de la nature, qui me sollicitent de pourvoir à mon Royaume, à ma femme, & à mes enfants. Mon Royaume demande un sage Prince pour le gouverner en ma place : ma femme un fidèle ministre pour la conseiller dans sa viduité ; & mes filles, un bon tuteur pour les assister dans la faiblesse de leur sexe, & de leur âge. La violence de la maladie chasse quelquefois ces sentiments de la nature, & me donnant de l'indifférence pour ma femme, & pour mes enfants, elle fait que je me compte déjà au nombre des morts, & que je me délivre, autant que je puis, de toutes les pensées de la terre. Après cela, le soin de l'Empire, duquel il n'est pas possible de se défaire entièrement, me rentre dans l'esprit, & me représente, qu'il ne suffit pas de conserver la puissance qu'on a reçue; mais qu'il faut encore la remettre entre les mains d'une personne capable de la maintenir, & propre à réparer, les fautes de son prédécesseur. A moins que de cela, l'édifice de l'Etat qui est appuyé sur un si faible fondement tombé par terre. Pendant que ces fâcheuses confédérations me rongent l'esprit, la providence éternelle a la bonté de me soulager, en choisissant Maurice, qui est ici devant vous, pour mon successeur. Il a déjà rendu d'important services à l'Etat, & il a supporté pour sa défense de grandes fatigues, qui sont comme autant de gages de la vigilance avec laquelle il travaillera à la conservation de vos intérêts. Vous le saluerez aujourd'hui en qualité d'Empereur. J'exécute ce grand dessein avec joie , & je suis très ferme dans cette résolution. Je ne lui confie pat feulement mon Royaume , je lui donne ma fille en mariage, & en lui donnant une personne qui m'est si chère , je vous assure de la confiance que vous devez prendre en sa conduite. La consolation d'avoir achevé un ouvrage si important, & de vous avoir pour approbateurs de mon choix, & pour témoins de la manière dont j'ai gouverné, & dont j'ai été soulagé par Maurice d'une partie du gouvernement, me servira comme de viatique dans le grand voyage que je vais faire. Pour vous, mon cher Maurice, je ne vous demande point d'autre épitaphe que votre règne, ni d'autre mausolée que celui que m élèveront vos vertus. Ne confondez pas l'espérance que l'on a conçue de votre conduite, ne vous pas vous-même, & ne ternissez pas vôtre gloire. Modérez votre puissance par la raison, réglez vos commandement par la sagesse. La Royauté A quelque chose d'insolent, dont elle infecte ceux qu'elle élève. Ne vous imaginez pas surpasser les autres hommes en prudence, comme vous les surpassez en dignité. Souhaitez d'être aimé de vos Sujets plutôt que d'en être craint. Souffrez plutôt d'être repris., que d'être flatté Car bien que les Princes soient d'ordinaire peu disposés à écouter des remontrances, il est certain., néanmoins, qu'il n'y a rien qui les instruise davantage. Que la Justice soit toujours devant vos yeux, & à vos côtés, la Justice, dis-je, qui nous prépare la rétribution de nos œuvres. Etant Philosophe, comme vous êtes, n'estimez pas plus votre pourpre que le plus vil vêtement, & ne considérez pas plus les pierreries de votre couronne, que. les cailloux du bord de la mer. Il y a dans la pourpre je ne sais quoi de lugubre, qui semble avertir les Empereurs de se modérer dans leur grandeur, & de ne se pas laisser emporter à ''orgueil, ni à la joie. Le Sceptre est plutôt la marque d'une servitude honorable, que d'une licence effrénée. Tempérez vôtre colère par la douceurs & votre prudence par la crainte. La nature a donné un Roi aux Abeilles, & elle l'a armé d'un aiguillon pour se faire obéir selon la Justice, & non pour commander en Tyran ; pour l'utilité, & non pour l'oppression de son peuple. Obéissons , au-moins, à cette savante maîtresse, si nous n'aimons mieux écouter de plus parfaites leçons que nous donnera la raison. Voila ce que j'avais à vous dire, comme un bon père. Vous jugerez des avis que je vous donne , avec l'autorité Que vous allez recevoir: & cette autorité vous tiendra lieu d'un Juge incorruptible pour flétrir le vice, & pour honorer la vertu.
3. Ce discours tira des larmes des yeux de tout le monde. Les uns, qui portaient de l'affection à l'Empereur, avaient regret de le voir en cet état, &: les autres étaient touchés d'un pareil sentiment, par quelque forte de compassion. Après cela Tibère ôta sa couronne, & sa robe Impériale, & la donna à Maurice , pendant que l'air retentissait des acclamations de tout le Peuple. Les uns admiraient le sage conseil de ce Prince , qui se démettait volontairement de la souveraine puissance, les autres louaient celui qui en était revêtu, & publiaient qu'il en était dignes & tous ensemble rendaient à Dieu la gloire d'un si grand ouvrage.
Quand cette importante cérémonie fut achevée, & que Maurice eût été proclamé Empereur, avec les solennités accoutumées, Tibère se fit reporter dans son lit.(...)
Theophylaktos Simokatès (ou Simocatta, Simocates, latinisé en Theophylactus Simocatta) est un historien byzantin du début du VIIe siècle. Le surnom « simokatès » (museau de chat) est généralement attribué à son apparence physique.
Théphylacte est sans doute le dernier historien du monde antique. Il composa sous le règne de l'empereur Héraclius (610-641), une œuvre historiographique intitulée "Histoires", où il fit le récit du règne de l'empereur d'Orient Maurice 1er (582-602) et de ses guerres contre les Perses sassanides et les Slaves.
Théphylacte Simocatta est aussi un épistolographe auteur d'un recueil de 95 lettres fictives, divisé en trois parties : les lettres morales, les lettres de paysans, les lettres de courtisanes. On a également de lui un livre de Quaestiones naturales.
Extraits
(...)2. Romains, qui êtes le Peuple le plus célèbre, le plus illustre de la Terre, & qui avez acquis, par la grandeur de vos exploits, une réputation immortelle, je me trouve maintenant environné par les dernières, & par les plus cuisantes de toutes les inquiétudes, dont les unes me pressent de mettre ordre aux affaires de ce monde, & les autres me troublent par la pensée du compte terrible que j'ai à rendre. Comme ceux qui jouissent d'un pouvoir absolu commettent d'ordinaire, de grandes fautes, la licence où j'ai vécu autrefois, devient aujourd'hui le sujet de ma crainte. Le soin qui regarde ma couronne est, sans doute, celui qui m'est le plus sensible. Ce n'est pas que je sois fâché de la déposer si tôt, mais c'est que ne l'ayant pas reçue pour m'être un sujet de vanité, ou une occasion de débauche, je Juif en peine de la mettre sur une tête qui mérite de la porter. A ces pensées de fortune, succèdent les sentiments de la nature, qui me sollicitent de pourvoir à mon Royaume, à ma femme, & à mes enfants. Mon Royaume demande un sage Prince pour le gouverner en ma place : ma femme un fidèle ministre pour la conseiller dans sa viduité ; & mes filles, un bon tuteur pour les assister dans la faiblesse de leur sexe, & de leur âge. La violence de la maladie chasse quelquefois ces sentiments de la nature, & me donnant de l'indifférence pour ma femme, & pour mes enfants, elle fait que je me compte déjà au nombre des morts, & que je me délivre, autant que je puis, de toutes les pensées de la terre. Après cela, le soin de l'Empire, duquel il n'est pas possible de se défaire entièrement, me rentre dans l'esprit, & me représente, qu'il ne suffit pas de conserver la puissance qu'on a reçue; mais qu'il faut encore la remettre entre les mains d'une personne capable de la maintenir, & propre à réparer, les fautes de son prédécesseur. A moins que de cela, l'édifice de l'Etat qui est appuyé sur un si faible fondement tombé par terre. Pendant que ces fâcheuses confédérations me rongent l'esprit, la providence éternelle a la bonté de me soulager, en choisissant Maurice, qui est ici devant vous, pour mon successeur. Il a déjà rendu d'important services à l'Etat, & il a supporté pour sa défense de grandes fatigues, qui sont comme autant de gages de la vigilance avec laquelle il travaillera à la conservation de vos intérêts. Vous le saluerez aujourd'hui en qualité d'Empereur. J'exécute ce grand dessein avec joie , & je suis très ferme dans cette résolution. Je ne lui confie pat feulement mon Royaume , je lui donne ma fille en mariage, & en lui donnant une personne qui m'est si chère , je vous assure de la confiance que vous devez prendre en sa conduite. La consolation d'avoir achevé un ouvrage si important, & de vous avoir pour approbateurs de mon choix, & pour témoins de la manière dont j'ai gouverné, & dont j'ai été soulagé par Maurice d'une partie du gouvernement, me servira comme de viatique dans le grand voyage que je vais faire. Pour vous, mon cher Maurice, je ne vous demande point d'autre épitaphe que votre règne, ni d'autre mausolée que celui que m élèveront vos vertus. Ne confondez pas l'espérance que l'on a conçue de votre conduite, ne vous pas vous-même, & ne ternissez pas vôtre gloire. Modérez votre puissance par la raison, réglez vos commandement par la sagesse. La Royauté A quelque chose d'insolent, dont elle infecte ceux qu'elle élève. Ne vous imaginez pas surpasser les autres hommes en prudence, comme vous les surpassez en dignité. Souhaitez d'être aimé de vos Sujets plutôt que d'en être craint. Souffrez plutôt d'être repris., que d'être flatté Car bien que les Princes soient d'ordinaire peu disposés à écouter des remontrances, il est certain., néanmoins, qu'il n'y a rien qui les instruise davantage. Que la Justice soit toujours devant vos yeux, & à vos côtés, la Justice, dis-je, qui nous prépare la rétribution de nos œuvres. Etant Philosophe, comme vous êtes, n'estimez pas plus votre pourpre que le plus vil vêtement, & ne considérez pas plus les pierreries de votre couronne, que. les cailloux du bord de la mer. Il y a dans la pourpre je ne sais quoi de lugubre, qui semble avertir les Empereurs de se modérer dans leur grandeur, & de ne se pas laisser emporter à ''orgueil, ni à la joie. Le Sceptre est plutôt la marque d'une servitude honorable, que d'une licence effrénée. Tempérez vôtre colère par la douceurs & votre prudence par la crainte. La nature a donné un Roi aux Abeilles, & elle l'a armé d'un aiguillon pour se faire obéir selon la Justice, & non pour commander en Tyran ; pour l'utilité, & non pour l'oppression de son peuple. Obéissons , au-moins, à cette savante maîtresse, si nous n'aimons mieux écouter de plus parfaites leçons que nous donnera la raison. Voila ce que j'avais à vous dire, comme un bon père. Vous jugerez des avis que je vous donne , avec l'autorité Que vous allez recevoir: & cette autorité vous tiendra lieu d'un Juge incorruptible pour flétrir le vice, & pour honorer la vertu.
3. Ce discours tira des larmes des yeux de tout le monde. Les uns, qui portaient de l'affection à l'Empereur, avaient regret de le voir en cet état, &: les autres étaient touchés d'un pareil sentiment, par quelque forte de compassion. Après cela Tibère ôta sa couronne, & sa robe Impériale, & la donna à Maurice , pendant que l'air retentissait des acclamations de tout le Peuple. Les uns admiraient le sage conseil de ce Prince , qui se démettait volontairement de la souveraine puissance, les autres louaient celui qui en était revêtu, & publiaient qu'il en était dignes & tous ensemble rendaient à Dieu la gloire d'un si grand ouvrage.
Quand cette importante cérémonie fut achevée, & que Maurice eût été proclamé Empereur, avec les solennités accoutumées, Tibère se fit reporter dans son lit.(...)
Theophylaktos Simokatès (ou Simocatta, Simocates, latinisé en Theophylactus Simocatta) est un historien byzantin du début du VIIe siècle. Le surnom « simokatès » (museau de chat) est généralement attribué à son apparence physique.
Théphylacte est sans doute le dernier historien du monde antique. Il composa sous le règne de l'empereur Héraclius (610-641), une œuvre historiographique intitulée "Histoires", où il fit le récit du règne de l'empereur d'Orient Maurice 1er (582-602) et de ses guerres contre les Perses sassanides et les Slaves.
Théphylacte Simocatta est aussi un épistolographe auteur d'un recueil de 95 lettres fictives, divisé en trois parties : les lettres morales, les lettres de paysans, les lettres de courtisanes. On a également de lui un livre de Quaestiones naturales.
Wikipédia
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire